18-7: GPG 38



Ma voix résonne
sous les arches rocheuses :

un nectar, un nectar, un nectar.

/Heureux/se que vous appréciiez, Sapin.
Je crains qu’aucun/e de mes congénères ne soit
assez vigoureux/se
pour supporter
ce liquide-là/


Après quoi, la limace et moi nous taisons.  Silence de tombe.
Un ange passe en rampant.


Fais craquer nerveusement
mes phalanges : petite pétarade : feu d’artifice
mineur.


La limace reprend :


/Vous ne m’avez pas lu/e, Sapin, mais je pense
que vous comprenez ce que je veux faire :
vous comprenez ce que c’est
que la violence,
vous comprenez
son importance, vous savez
que rien ne se passe
quand tout se passe sans fracas.
Vous buvez ce liquide limoneux,
qui tord les tripes…/

Ça réchauffe son homme, dis-je.

/… et vous avez failli perdre votre coquille
pour les beaux yeux d’une pieuvre…/

Ce n’est pas tout fait une coquille, dois-je préciser.
C’est une colonne.

/… je sais que vous êtes là, Sapin,
pour me convaincre de rentrer dans le rang.
Voyez, je suis bien informé/e,
j’aurais pu refuser de vous voir,
mais je ne voulais pas perdre
une chance peut-être unique
de discuter avec le plus grand poète
de cette race barbare
et colérique
et stupide
qui est la vôtre, 
qui est la race des hommes, j’avais l’espoir
en vous amenant ici
de vous montrer
concrètement
ce qui vous arrivera
si vous renoncez à votre barbarie
à votre colère
à votre stupidité,
si vous renoncez
à vos armes
à vos défenses
à votre orgueil
salutaire…/

/…Car regardez autour de vous, Sapin !
Regardez les vestiges
de ce que fut un jour la Suisse :
une nation de valeureuses limaces,
se battant pour chaque vallon, lac, forêt
pour chaque bout de terre aride,
pour l’air nu et noir au fond
des abîmes les plus inaccessibles,
pour chaque rai des soleils ;
une nation de vigoureux chevaliers
aux corps barrés de cicatrices
prêts chacun
à se battre jusqu’à la mort
pour ceux du clan,
du pays,
de la race et du sang –
voyez Sapin ces armures superbes, aussi dures
que la pierre la plus dense
que le diamant le plus impénétrable,
voyez sur ces armures
les paroles de  guerre, et de mort,
et de feu dévorant les villages :
voyez sur celle-ci
cette inscription : Sus aux Geignards
et Pas de Prisonniers
et Plutôt Périr
dans la Douleur
la plus Vive
que de Périr
sans mon Arme ;
et sur celle-là : La mort
La mort est mon Guide
La mort est mon Guide premier
et ma Compagne !
Voyez Sapin,
voyez qui nous étions !.../

/… et qui nous sommes devenus :
d’affreux gros lards,
des usuriers
sans foi ni âme
des outres
gonflées de vide,
des banquiers, des scélérats,
des malfaiteurs,
« le coffre-fort
de l’univers » :
faites-moi rire…/

(un gargouillement macabre
s’échappe justement
de sa bouche)

/…faites-moi rire : la Suisse n’est rien
qu’un ramassis
de larves ensuées et craintives,
malhonnêtes et fourbes,
prêtes à vendre leurs ancêtres, armes et coquilles,
pour quelques dinars, pour quelques roubles
galactiques : voilà la Suisse, Sapin,
voilà vraiment la Suisse :
une planète de lâches, d’hypocrites
et d’escrocs./