21-7: GPG 40



Jamais vu une telle foule, et si enthousiaste
à une lecture de poèmes.
C’est bien simple : de moi
jusqu’à l’horizon s’étale
une mer de limaces
onduleuse, électrique, frémissante.


Public immense : rassemblé sur une place colossale
au centre de laquelle un cube sobre et imposant
clairement inspiré
de l’architecture fasciste italienne
relaie par mille haut-parleurs
le discours de la limace d'âge vénérable  
introduisant le jeune poète
dont le sort de ma colonne vertébrale
dépend.


Le mieux, me dis-je, ce serait qu’il se taise.


Le jeune poète s’avance : il est beau, il a la grâce
fragile de ceux qui ne vivront pas
vieux, ses yeux sont au bout des antennes
comme deux rocailles grises
tout justement éboulées
de la falaise, il s’approche du micro, un de ses tentacules
le saisit, se le colle
juste devant la bouche, d’où sort
brièvement sa langue
râpeuse et dentée
qui passe sur ses lèvres
peut-être pour sentir
une dernière fois
le goût futur de ses paroles : puis
sans préambule il démarre
un poème de violence nue, dont la main noire
vous fouaille l’intérieur
comme un lion fouaille 
sa victime légère
– poème de meurtre ou d’appel
au crime, dont la main noire
est armée d’ongles
merdeux et sanglants
comme des griffes
mentruelles et fécales,
– poème d’émeute et de rage,
qui se débat
à l’aveugle – petit frère qui veut faire mal
– vaincu d’avance qui veut blesser au pire
– poème inouï, cadavre
aux bras ouverts,
qui vrombit comme une mauvaise guêpe,
injecte le poison qui est sa vie-même
dans la plaie,
et s’achève,
et tombe à terre
comme à terre peut tomber
seul un cadavre.