4-7: GPG 33



La poulpe m’accueille avec un clin d’œil.

(Mais est-ce bien un clin d’œil ?
Les poulpes ont-ils donc des paupières ?)


(Décidément, se renseigner là-dessus.)


Elle s’écarte légèrement pour me permettre
d’intégrer le cercle
des poètes extraterrestres.

Hector reste dans mon dos comme un charmant
garde du corps. Remarquablement découplé.

°Je vous présente Sapin, dit la poulpe aux jeunes limaces
présentes, dont les antennes sont déjà
tendues avec curiosité
dans la direction de mon crâne.
Sapin a été récemment nommé poète officiel de l’humanité.°

En suis très fier, dis-je. Sacrée consécration.
Dire que dans ma jeunesse, je rêvais de l’académie française.
Quel gagne-petit je faisais !

Un rire saccadé, le mien, accompagne cette déclaration.
Les limaces ouvrent la bouche poliment, mais n’ont pas l’air
de saisir tout le sel
de mon histoire.


°Sapin, poursuit la pieuvre diplomatique, est notamment l’auteur
de L’oiseau bleu, l’un de mes poèmes humains préférés.°


N’ai pas souvenir d’avoir écrit un poème nommé L’oiseau bleu.
Fouille dans ma mémoire, mais déjà l’ambassadrice déclame :

°°Il y a un bluebird dans mon cœur qui
veut sortir
mais je suis trop difficile pour lui,
Je lui dis, reste là, je ne vais pas
laisser quiconque
voir toi.

il y a un bluebird dans mon cœur qui
veut sortir
mais je verse du whisky sur lui et respire
fumée de cigarette
et les putains et les barmen
et les commis d'épicerie
jamais savoir que
il est
là-dedans.°°

/Très beau/, trouvent les jeunes limaces, enthousiastes.

Vous me confondez, dis-je, dans un accès d’honnêteté. Vous me confondez avec Charles
Bukowski.

Mais on ne m’écoute pas.

°Ecoutez également celui-là, chers amis gastéropodes :

°°Forêt silencieuse, aimable solitude,
Que j’aime à parcourir votre ombrage ignoré !
Dans vos sombres détours, en rêvant égaré,
J’éprouve un sentiment libre d’inquiétude !
Prestiges de mon cœur ! je crois voir s’exhaler
Des arbres, des gazons une douce tristesse :
Cette onde que j’entends murmure avec mollesse,
Et dans le fond des bois semble encor m’appeler.°°

Les limaces frétillent, admiratives.

Maintenant vous me confondez avec Chateaubriand, dis-je, bien décidé à ne pas voler
dans les tombes
des morts.

La poulpe tourne ses doux yeux sous-marins vers moi.

°Que ce soit de vous ou de celui que vous appelez Château Brillant,
ou de celui que vous appelez Charles Bukrowski,
ça ne change pas grand-chose pour nous, vous savez.
Ça reste de la poésie humaine :
écrite avec une main humaine.°