21-1: Le chat est une particule 2




Vous n’avez pas eu de chance, cela dit. Outre le fait que vous êtes mort quasi vaporisé (c’est à peine si les équipes de secours purent récupérer, de ce corps qui fut vous : la moitié d’un œil) à cause d’un bête incident technique (« un défaut fatal de conception », s’excusera la compagnie aérienne), vous n’avez pas eu de chance du tout.  

Car vous n’êtes pas tombé, dans cet avion qui scella votre destin, sur n’importe quel binôme de physiciens quantiques ; la plupart des physiciens quantiques aurait fait comme vous : ils auraient paniqué, gesticulé, crié « Maman » ou pensé très fort à crier « Maman », se seraient battus avec leur gilet sauvetage tout en sachant très bien que ça ne changerait rien à l’affaire en fin de compte qu’ils parviennent ou non à l’enfiler, puis auraient trouvé que c’était quand même injuste, terriblement injuste, cette histoire d’avion qui perd brusquement de l’altitude, dont le pilote perd le contrôle, qui se fracasse et se transforme en torche énorme, après tout ils n’avaient trompé leur femme qu’une fois, à Hawaï, dans les années 80, est-ce  que ça justifiait que leur existence connût pareil dénouement ?...

Non, bien sûr que non. Personne ne mérite de finir pulvérisé/carbonisé sous prétexte d’avoir trompé sa femme (en plus c’était au début) une fois, à Hawaï, dans les années 80. Personne.

Les physiciens quantiques, dans une large majorité, peuvent en fait être considérés comme vous et moi: comme des êtres humains. On peut leur serrer la main, sans devoir aussitôt s’asperger les nôtres (de mains) avec une solution hydro-alcoolique puis se les frotter vigoureusement pendant au moins trente secondes. On peut leur dire « Bonjour, Buddy » comme on dirait « Bonjour, Buddy » à n’importe quel type que l’on croise dans la rue. On peut boire un café avec eux et commenter ensemble les résultats de l’Olympique, comme on le ferait avec n’importe quel collègue. On peut aussi les taquiner, voire les charrier, leur balancer des vannes quand ils renversent le contenu de leur tasse sur leur chemise, des vannes du genre : « Toi, t'es un cérébral, hein ? Toujours dans la lune, hein ? »; oui, on peut y aller, ils ne le prendront pas mal, ils savent qu’on dit ça histoire de dire, que ce n’est pas pour critiquer vraiment et que d’une certaine façon, même si on ne comprend rien à ce qu’ils font au juste comme taf, on les admire, ils ont à voir avec l’univers, avec les secrets, avec l’occulte du cosmos.

Eux donc, ça va. Parce que ce sont des physiciens quantiques orthodoxes. Ils croient en des trucs qui dépassent le commun, mais ils ne cherchent pas non plus tout le temps à franchir les bornes de l’inconcevable.